Spatialisation et histoire de l’art

Sur un plan cette fois thématique et disciplinaire nous nous proposons aussi d’engager avec l’Inha une réflexion spécifique sur la spatialisation et la représentation des données de l’histoire de l’art. La représentation par graphe, cartographique, quantitative ou qualitative, a évolué tout au long de l’histoire, en parallèle avec la technique. Aujourd’hui, grâce au numérique et à la diffusion des données sur internet nous avons la possibilité de présenter des grandes masses de données d’une façon visuelle, ce qui aide, souvent, à une meilleure compréhension de l’information. Le problème des données issues de la recherche en histoire de l’art est que, souvent, l’indexation des champs de description s’appuie sur des entités nommées qui sont identifiées par simples chaînes de caractères. Ce souci s’applique bien à tout type de référentiel : à titre d’exemple, « Léonard de Vinci » pour une personne, « peinture » pour une technique ou bien « Musée du Louvre » pour une localisation. Il s’avère donc nécessaire d’aligner ces « chaînes de caractères » à des référentiels qui permettent d’identifier d’une façon unique chaque « concept » exprimé par nos « termes ».

L’utilisation de vocabulaires contrôlés et de thésaurus n’est qu’un début du travail. Afin de rendre interopérables les concepts il faut certainement s’appuyer sur des formats standards et sur des référentiels partagés et répandus. Mais pour « représenter » l’information, ce passage ne suffit pas. Il faut que les données (qu’on peut définir de primaire ou brute) soient « enrichies » par des informations qui permettent de les qualifier d’un point de vue numérique et visuel. Notamment, pour un lieu, nous aurons besoin au moins d’un couple de coordonnées géographiques, ce qui permettra de le positionner sur une carte, ainsi que pour une période, des bornes chronologiques, qui permettent de la positionner dans une frise chronologique, etc.

En ce qui concerne la spatialisation des données issues des recherches en histoire de l’art, des exemples vertueux ont été mis en place ces dernières années, notamment à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), au sein du Service numérique de la recherche et de sa plateforme de données de la recherche : AGORHA (https://agorha.inha.fr/). À partir de cette base commune, plusieurs exploitations cartographiques ont été mises en place, comme la « carte du collectionnisme d’art asiatique en France » (https://agorha.inha.fr/database/81#c11506), pour laquelle un script de géocodage à partir des données issues du projet Alpage (géolocalisation des adresses du plan Vasserot du 1810-1836) a été développé, ou la carte de la collection de Jean-Baptiste Muret, listant les lieux de création, découverte et conservation des objets issues de cette collection (https://digitalmuret.inha.fr/s/collection-muret/page/carte-collection).

Les cas d’utilisation sont multiples et différents : localisation d’œuvres d’art, déplacement de personnes et d’objets, histoire des collections, étude de provenances, cartographie du marché de l’art comme on peut le voir dans le site de datavisualisation « Sur la piste des œuvres antiques », cartographie interactive des données de la base du Répertoire des ventes d’antiques en France au XIXe siècle (https://ventesdantiques.inha.fr/), « Le monde en musée », cartographie des collections d’objets d’Afrique et d’Océanie en France (https://monde-en-musee.inha.fr/), ou bien le GéoRETIF, cartographie interactive du « Répertoire des tableaux italiens dans les collections publiques françaises » (RETIF) (https://georetif.inha.fr).

La masse des données produite dans AGORHA est conséquente : on y trouve des notices œuvres (environ 80 000, œuvres et édifices), personnes (environ 55 000, artistes, professionnels de l’art et institutions culturelles), événements (environ 12 000) et collections (environs 800), dont 112 000 localisées par au moins un lieu de référence. Les données d’AGORHA, exposées via une API (interface de programmation d’application) aux formats standards comme le json, le json-ld et le rdf, sont elles-mêmes devenues des référentiels d’enrichissement, susceptibles d’être réutilisées dans d’autres projets de recherche. C’est le cas, notamment, du projet PENSE, Plateforme d’éditions numériques de sources enrichies (https://pense.inha.fr), qui vise à mettre à disposition des sources numériques enrichies tout en proposant un enrichissement éditorial destiné à en accompagner la réception par tous les publics, amateurs ou spécialistes.

À partir de ces expériences de spatialisation des données et d’enrichissement des sources, on vise à développer de nouvelles « mises en scène » numériques des résultats de la recherche en histoire de l’art, qui documenteront l’histoire urbaine, architecturale, sociale et culturelle des espaces de la ville. Il s’agit de mettre en place un processus cohérent d’éditorialisation et médiation des contenus numériques spatialisés qui fassent émerger une véritable « géohistoire de l’art » à plusieurs échelles.

L’approche et la méthode développée au sein de l’INHA peuvent être appliquées d’une façon plus large dans le cadre de ce nouveau consortium pour exploiter les données déjà mise à disposition par  le CstPTM, ou encore pour envisager des nouvelles formes de publication en ligne de toutes les données que ce nouveau consortium collectera et mettra à disposition dans le cadre de la « Fabrique numérique du passé ». Cette démarche dans son ensemble, a également pour vocation d’accompagner la communauté des chercheuses et des chercheurs en histoire de l’art, en leur permettant de continuer à se familiariser avec les outils et les pratiques numériques (segmentation de documents textuels ou visuels, balisage, encodage, annotation et spatialisation) et offrir à leur réflexion de nouvelles voies interprétatives.